Des vidéos enregistrées... sur de l'ADN
- Laurent Sacco, Futura-Sciences
- 15 avr. 2016
- 3 min de lecture
Enregistrer un livre entier dans des molécules d’ADN, c’est fait depuis un certain temps. Des chercheurs sont allés un cran plus loin avec des images et des vidéos. La densité du stockage et la durabilité des mémoires à base d’ADN surpassant celle de nos disques durs et autre mémoire flash, elles devraient se développer dans un futur pas trop lointain.

Les coûts et la rapidité du séquençage de l’ADN continuant à baisser, des mémoires à très haute densité capables de durer des centaines d’années pourraient servir à stocker de fantastiques quantités d’informations à destination des générations futures. © Digital Genetics, Shutterstock
En 1997, le biologiste Jack Cohen et le mathématicien Ian Stewart ont introduit dans leur livre Figments of Reality : The Evolution of the Curious Mind un néologisme, celui d' « extelligence » . Il désigne l’information et l’intelligence collective de l’humanité sous forme d’œuvres culturelles, de livres, de DVD, de bibliothèques, de réseaux sociaux ainsi que les interactions culturelles et intellectuelles entre les membres de l’humanité. On peut donc penser l’extelligence comme l’intelligence et la mémoire d’une sorte de cerveau collectif de l’humanité.
Cette extelligence risque d’être sérieusement endommagée au cours du XXIe siècle et il est bien possible que nos descendants du prochain siècle soient frappés d’amnésie bien pire que celle qui a frappé l’Europe à la suite de la chute de l’Empire romain, laquelle nous a fait perdre bon nombre des accomplissements et des œuvres de la culture grecque. Il y a pour cela deux raisons.
La première est que l’énergie permettant de faire fonctionner cette extelligence et de la conserver risque fort de nous faire défaut. Les ressources en énergies fossiles vont s’épuiser ou pour le moins seront indisponibles si l’on veut éviter de trop déstabiliser le climat. Notre civilisation technologique pourrait donc bien chuter exactement comme l’a fait l’Empire romain.
La seconde raison est que la quantité d’informations que possède et produit l’humanité de façon encore exponentiellement croissante devient de plus en plus volatile à l’heure du numérique. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux vidéos sur YouTube, nos emails, nos pages Facebook ou encore les livres numériques achetés sur Amazon. On aimerait bien pouvoir stocker efficacement ces données sur des supports capables de durer des siècles. Or que sont déjà devenus les fichiers qui tournaient sur nos ordinateurs il y a 20 ans, les vinyles et autre bandes VHS d’il y a 30 ans seulement ?

Tous les films, images, e-mails et autres données numériques contenus généralement dans 600 smartphones ordinaires peuvent être stockés dans le composé rose pâle à base d’ADN à l’extrémité de ce tube à essai. © Tara Brown Photography, University of Washington
10 milliards de fois la densité de stockage d’un CD
Plus concrètement, il nous faut donc trouver des alternatives aux serveurs et aux disques durs qui non seulement soient capables de stocker de plus grandes quantités d’informations mais aussi de façon durable, respectueuse de l’environnement et à très bas prix. Cela semble être la quadrature du cercle mais on réfléchit depuis quelques années à une solution. Elle consiste à utiliser le plus formidable et le plus durable support d’informations inventé par la vie : l'ADN.
Le principe de la méthode consiste à encoder une information en binaire sous la forme d’une série de bases de l’ADN représentées par les lettres A, C, G et T. Il faut ensuite synthétiser un brin d’ADN contenant cette information puis le stocker, par exemple dans une nanosphère de silice. L’ADN peut ultérieurement être extrait, séquencé et décodé.
Une première preuve de la faisabilité de cette technique a été donnée il y a quelque temps en enregistrant un livre entier, soit 5,37 mégabits, dans seulement un picogramme d’ADN (un millionième de millionième de gramme). Cela représente une densité de stockage spectaculaire d’un million de gigabits par centimètre cube, c’est à dire plus de 10 milliards de fois la densité de stockage d’un CD.
Parmi les chercheurs qui développent des dispositifs pour écrire et lire des informations sur une mémoire à base d’ADN, on trouve par exemple les membres du Molecular Information Systems Lab de l’université de Washington. En collaboration avec des membres de Microsoft Research ils ont mis au point une nouvelle technique pour concrétiser cet objectif. Afin d’atteindre une haute densité de stockage et de réduire les erreurs liées au processus d’enregistrement et de lecture, ils ont notamment fractionné l’information en plusieurs brins d’ADN qu’ils ont déshydratés.
Lors d’un colloque de l’ACM International Conference on Architectural Support for Programming Languages and Operating Systems, les chercheurs ont présenté leurs derniers travaux dans un article. Ils y annoncent avoir réussi à enregistrer et à lire sans erreurs des fichiers d’images ainsi que des vidéos montrant des interviews des juges et des avocats impliqués dans le tribunal chargé de juger les crimes de guerre commis au Rwanda. Selon les chercheurs, à terme, des serveurs de la taille de supermarchés n’occuperont plus que le volume d’un cube de sucre.
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